Delmas, l’africaine
Au côté du charbon, le trafic avec l’Afrique est un des axes forts de la compagnie rochelaise. Vins d’Algérie puis bois tropicaux deviennent les matières premières qui représenteront la majeure partie du trafic de la Delmas…
Les vins d’Algérie de la crise du phylloxéra aux pinardiers
Les ravages causés par la propagation du phylloxéra dans le vignoble français amènent les pouvoirs publics à encourager la plantation de vignes en Algérie. Les navires Delmas saisissent l’opportunité d’un nouveau trafic. Dès 1896, une ligne régulière est créée entre La Rochelle, Bordeaux et l’Algérie et deux navires (le Dahra et le Sahel) capables de charger 2 000 fûts assurent la liaison. En 1899, le Fort Louis rejoint la flotte, la même année une agence est créée à Oran puis une autre à Alger en 1900 ; les premières unités sont remplacées en 1904, cinq navires constituent la flotte algérienne et l’importation des vins atteint un pic avec plus de 14 000 tonnes. Lorsque les chargements en vins sont insuffisants, on les complète par des phosphates destinés aux usines de La Rochelle.
Bientôt, une société d’acconage est créée avec l’appui d’autres armements français et chargeurs algérois. A partir de 1905, le trafic diminue, imputable à la reprise de la production nationale et aux premiers débats sur la protection du vignoble français, jusqu’à s’interrompre lors du premier conflit mondial. Pourtant les importations s’envolent dans l’entre deux guerre avec jusqu’à 16 000 tonnes importées en fûts à La Rochelle lors du Front populaire …
Du commerce colonial à l’indépendance
En 1920, les navires transportent des cargaisons mixtes, arachides et vins, et en 1933, la compagnie peut annoncer à son assemblée générale « Nous avons (…) un nombre de navires suffisant pour effectuer trois départs mensuels de Bordeaux, La Rochelle et Nantes sur les ports d’Algérie et de Tunisie et vice versa ». En 1935, Delmas-Vieljeux crée avec la Compagnie Générale Transatlantique un service combiné entre Nantes, l’Algérie et la Tunisie, une parade pour faire face à l’augmentation des coûts d’exploitation imposée par les chargeurs algérois. Interrompu pendant la guerre, le trafic reprend à la Libération mais avec des chiffres plus modestes. L’Afrique du Nord est alors desservie par trois navires l’André Thomé, le Cévennes et le Morbihan, l’Afrique de l’Ouest par Rochefort, La Rochelle, Royan et La Pallice.
Au début des années 1950, la compagnie rochelaise ne figure plus parmi les principales compagnies en charge de ce transport confié à une filiale, Tankafrica dès 1960, et dont les navires libertyships équipés de « deep-tank » puis des « tankers » transportent aussi bien le vin que les huiles, grâce à la mise en oeuvre de revêtements spéciaux dans les cuves. La décolonisation et les modifications des accords commerciaux qui en découlent n’affecteront ni la compagnie ni même l’importance du trafic : les jeunes Etats développent rapidement une industrialisation qui favorise le trafic des huiles en vrac.
Les bois africains, la grande affaire de la Delmas
En 1920, le succès d’une première tentative de transport de bois d’okoumé du Gabon à Londres amène la compagnie à créer dès 1925 une ligne régulière en Afrique noire grâce à deux navires, adaptés à ce type de trafic, le Kairouan et le Medjerda. Dans les années 1930 la compagnie développe cette activité même si le port rochelais n’est pas la destination principale des importations de bois : en 1929, seulement 215 tonnes sur les 56 000 importées par la compagnie arrivent à La Rochelle. Ce trafic concerne 11% des activités de Delmas-Vieljeux encore loin derrière le charbon. La création d’une filiale dédiée, la Société Africaine de Transport, amène la création d’agences à Grand Bassam puis à Libreville, et malgré une baisse du trafic au début des années 1930, de nouvelles agences à Douala ou Pointe Noire gèrent un trafic à destination de Bordeaux, La Pallice, Nantes, le Havre et des ports de l’Europe du Nord ouest.
Essor et modernisation des lignes africaines
Après 1945, l’importation des bois exotiques s’impose comme le trafic majeur de Delmas-Vieljeux. Sur une flotte de 18 unités, 13 sont affectées à la ligne d’Afrique. La SNDV reçoit cinq liberty-ships, baptisés les Royan, La Rochelle, Rochefort, Verdon et La Pallice qui rejoignent les Agen, Camille Porche, Danfjord, Tours, Vendôme et Aquitaine. En 1950, porté par la croissance économique et le développement de la notion de « confort moderne » l’importation des bois explose : deux navires modernes, les Frank Delmas et Joseph Camaret, sont conçus pour le transport des bois et produits tropicaux. Les côtes d’Afrique n’étant pas dotées d’infrastructures portuaires, ces unités ont leur propre système de transbordement. La situation évolue à la décennie suivante : la hausse des taux de frêt et les perspectives d’indépendance des pays d’Afrique noire amènent la Delmas à augmenter la rotation des navires et à développer une organisation technique et commerciale adaptée : multiplication des ententes avec les autres compagnies françaises, (Chargeurs Réunis, Société navale de l’Ouest, Compagnie Denis Frères, Maurel et Prom) et étrangères. En 1967, de nouveaux grumiers prennent la relève des anciens liberty et deux ans plus tard, à l’initiative des Chargeurs Réunis, la révolution du conteneur atteint les lignes d’Afrique de l’Ouest.
Entre innovations et mondialisation la révolution des conteneurs
En 1970, Les Chargeurs Réunis et Delmas-Vieljeux signent un accord d’importance : 14 navires rejoignent la Société Navale Chargeurs Delmas-Vieljeux (SNCDV) et trois ans plus tard, les chantiers de la Ciotat lui livrent le premier porteconteneurs, le François Vieljeux, bientôt rejoint par les Patrick et Stéphane Vieljeux ; c’est ensuite le Frank Delmas, l’un des plus gros grumiers de la compagnie, puis le Michel Delmas et ses deux sister-ships adaptés aussi au transport des conteneurs. Dans les années 1980, la SNCDV impose son hégémonie sur l’Afrique de l’Ouest et absorbe les armements français historiques : SNCDV signifie alors Société Navale et Commerciale Delmas Vieljeux. La modernisation de la flotte s’accélère avec la mise en chantier de quatre navires type grumiers vraquiers au cahier des charges rigoureux : les nouveaux « conbulks », les Adeline, Blandine, Caroline et Delphine Delmas, associant vrac, conteneurs et chargement de bois sur pont exposé sortent des cales en 1985 et 1986. En 1991, avant la prise de contrôle de l’entreprise par le groupe Bolloré, Delmas-Vieljeux exporte 620 000 m3 de bois d’Afrique de l’Ouest, 80% du trafic bois du groupe auxquels s’ajoutent 60 000 tonnes de grumes importées vers le Japon,
Hong- Kong, Singapour ou la Corée du Sud.