Les chantiers navals et le secteur industriel, une expertise !
Les chantiers Delmas-Vieljeux ont marqué pendant près de 65 ans la vie de La Rochelle. Avec plus de 1 000 salariés dans l’après- guerre, ils ont rythmé la vie du quartier de La Pallice, au son de la sirène annonçant le début ou la fin de la journée de travail, et fait vivre une grande partie de ses habitants. Un outil ultra moderne au service le plus souvent de tiers !
Les chantiers de La Pallice
La compagnie Delmas Frères et Vieljeux se lance dans la construction et la réparation navales en 1922, en rachetant la société Delaunay-Belleville à La Pallice. Elle constitue une filiale, les Chantiers navals Delmas-Vieljeux (CNDV) qui assure l’entretien et les réparations des navires de sa société mère, et qui offre également ses services auprès d’autres armateurs français et étrangers. Après des débuts difficiles, les CNDV connaissent un essor important à l’aube des années 1930. Les commandes assurent alors du travail à près de 500 ouvriers.
Les Chantiers ouvrent en parallèle en 1938-1939 une école d’apprentissage privée offrant ainsi un débouché aux familles locales tout en s’assurant d’avoir des ouvriers qualifiés. Cette école dite « la centrale » dispense principalement des formations d’ajusteurs, de chaudronniers, de forgerons, de menuisiers modeleurs et de traceurs. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les Chantiers alors sous la direction de Joseph Camaret tournent au ralenti. Les installations subissent d’importants bombardements au cours des années 1942 à 1944. Mais par chance, la grande forme de radoub n’a pas été touchée. Elle est à peu près la seule en France à proposer un outil de travail en état de fonctionnement et l’activité reprend donc assez vite. En 1947, ce sont près de 900 personnes qui travaillent aux Chantiers.
Des chantiers navals en résistance
Au printemps 1936, le Front populaire triomphe. A La Pallice, les chantiers navals Delmas-Vieljeux et leurs 300 salariés assurent la maintenance des 19 navires de la flotte et la construction et réparation d’autres navires. Mais la chute de la production industrielle due à la crise économique provoque chômage partiel et licenciements. Les tensions sur le port de La Pallice sont vives et les patrons réagissent soit en se montrant agressifs face aux revendications ouvrières, soit en tentant de désamorcer les conflits. C’est le cas de l’administrateur -et futur directeur- des chantiers navals, Joseph Camaret qui parvient à éviter la grève et obtient la signature d’un contrat collectif. Après l’armistice de juin 1940, il se fait le défenseur des chantiers contre l’emprise allemande, en évitant à de jeunes ouvriers le Service du travail obligatoire (STO). Membre du réseau Alliance, et du sous-réseau “Sea Star”, il collecte les renseignements sur les mouvements des navires allemands et fait des relevés de plans de la base sous-marine. Il est arrêté à son domicile le 14 mars 1944 et remis à la Gestapo, au même moment que le maire de La Rochelle, Léonce Vieljeux, Frank Delmas, président-directeur général des chantiers navals et neveu de Léonce, Jacques Chapron un autre neveu et Yann Roullet son petit-fils. Le réseau Alliance compte aussi plusieurs salariés des chantiers navals dont deux grutiers, Franck Gardes et Louis Gravot. Tous trouvent la mort au camp du Struthof le 1er septembre 1944, exécutés par les nazis.
Après-guerre, une adaptation difficile
Les chantiers navals participent à la reconstitution de la flotte française et deviennent le 30 juin 1947 les Chantiers navals de La Pallice (CNLP). Sous la direction de Raymond Seguin, la stratégie privilégie la construction de navires. L’inauguration des extensions a lieu le 31 mai 1950 alors que l’effectif des chantiers se stabilise autour de 1 000 salariés. Ce nouvel outil est ultra moderne, mais les inquiétudes sur l’avenir de la construction navale commencent à poindre : les navires sont de plus en plus grands, trop pour la cale sèche et la concurrence dans l’Hexagone est sérieuse. Les CNLP fusionnent en 1960 avec les Ateliers et Chantiers de La Rochelle (ACR), filiale de la société Delmas-Vieljeux : les ateliers et chantiers de La Rochelle-Pallice, les « ACRP » sont vite réputés pour leurs navires spécialisés et leur division qui oeuvre pour l’industrie. Le 1er janvier 1970, les ACRP se regroupent avec les Ateliers & Chantiers réunis du Havre (ACH) et forment la Société Nouvelle des Ateliers et Chantiers de La Rochelle-Pallice (SNACRP). Cette concentration permet au nouveau Groupe d’occuper le premier rang des “moyens chantiers” de l’industrie navale française déjà en pleine mutation. Les difficultés commencent et, en 1978, la SNACRP abandonne la branche réparation navale. Mais la situation continue de se dégrader et en mars 1987, le dépôt de bilan de la SNACRP est prononcé provoquant un traumatisme au sein de la population ouvrière. La disparition des chantiers navals Delmas-Vieljeux porte un coup sérieux à l’industrie rochelaise.
Un secteur industriel hyper spécialisé
A partir de 1966, les ACRP se diversifient une nouvelle fois en s’associant avec une société franco-américaine, Imodco-Europe. Cette création permet à la branche chaudronnerie de s’orienter vers la mécano-soudure dans la construction de bouées d’amarrage. Aux côtés des activités navales, les ACRP ont une division terrestre qui travaille plus spécifiquement pour l’industrie. Ce secteur se spécialise dans les années 1970-1980 dans les travaux de chaudronnerie, d’usinage et de montage de fabrication pointue. On peut citer entre autres la réalisation de la monture d’un télescope destiné au site d’Hawaï, la fabrication d’une bouée d’amarrage pour terminal pétrolier destiné à Abou Dhabi, la fabrication de presses de cuisson pour pneumatiques pour Michelin ou encore la réalisation d’un simulateur de plongée.
Des chantiers navals en Afrique
Dès 1947, en s’associant avec les Ateliers et Chantiers de Bretagne, la SNDV crée deux chantiers navals sur le continent africain, l’un sur l’estuaire du Gabon à Libreville, l’autre sur le golfe de Guinée à Abidjan en Côte d’Ivoire. Le premier, les Ateliers et Chantiers de l’Afrique Equatoriale (ACAE) se trouve près du centre important de chargement de bois d’Owendo. Le second, les Ateliers et Chantiers de l’Afrique française (ACAF) s’installe sur une concession de cinq hectares à défricher. A partir du début des années 1950, les deux chantiers deviennent opérationnels après la construction des infrastructures nécessaires.
En 1952, l’ACAE prend en gérance les Ateliers coopératifs de mécanique générale de l’Ogooué. La Société emploie alors plus de 150 salariés et fabrique des bateaux de pêche, des chalands et des remorqueurs. Le second chantier naval s’oriente vers une activité d’assemblage d’éléments préfabriqués qui proviennent en partie des Chantiers navals de La Pallice ou des Etablissements Billiez de La Rochelle. En 1953, L’ACAF s’associe avec les Ateliers et Chantiers maritimes d’Adidjan pour fonder la Compagnie abidjanaise de réparations navales et travaux industriels, plus connue sous le nom de la CARENA. Elle fournit aussi remorqueurs et plates aux agences de la SNDV et effectue des réparations sur les navires en escale. Le Groupe Delmas-Vieljeux prend le contrôle total de ces deux chantiers en 1969.